Par Marie-Jeanne, Capoeiragem, Ecole Senzala Toulouse - Janvier 2019
Je ne sais pas pour vous mais quand je m’apprête à prendre un avion pour l’étranger je ressens toujours une grande excitation temporisée par une certaine anxiété. La destination « Brésil » a cependant la vertu de substituer à cette préoccupation, une joie insouciante.
Par le hublot de l’avion, un bandeau de lumières très denses longe l’océan, s’étend sur des kilomètres et disparait vers les l’intérieur des terres, j’ai du mal à voir où s’arrête la ville.
Recife, ville principale du Pernambuco, a été créée au début du 16ème siècle et elle est la 5ème ville du Brésil avec presque 4 millions d’habitants. J’ai passé la majorité de mon temps dans une partie de la ville qui se nomme Ibura. Cette ancienne favela a été divisée en 7 unités résidentielles (UR). La famille de Sonic (mon mari) vit dans le UR-2. Bien que de nombreuses rues pentueuses soient toujours en terre, la plupart des habitations sont en dur et ont le confort des maisons modernes hormis l’eau courante qui n’arrive au robinet que deux jours sur trois. Chaque foyer a donc un ou plusieurs réservoirs annexes où l’on puise l’eau avec un seau. Heureusement que le climat est doux en hiver ! Les ruelles qui serpentent entre les maisons constituent un véritable labyrinthe avec des escaliers aux marches irrégulières. Personne ne voulait me laisser aller seule de peur que je me perde ou que je me fasse agresser. À aucun moment cependant, je n’ai perçu un quelconque danger sauf peut être une nuit. Dans un quartier qui ressemblait à « la citée des dieux », des types armés faisaient le guet et on a du attendre qu’ils partent pour quitter la maison du Candomblé où nous étions venus assister à une cérémonie. Il est certain que dans cette région du Nordeste avec ma peau blanche et mes yeux bleus, je ne pouvais être prise pour une habitante du quartier, le métissage y est en effet moins important que dans une ville comme Rio.
Recife
Recife est une très grande ville avec des écarts de richesse énormes. En contraste avec le front de mer bordé d’immeubles gardés, de shoppi (centres commerciaux) où les prix sont incroyablement hauts, il y a ces milliers de cabanes qui bordent la voie ferrée, longent les avenues ou se dressent sous les ponts. Les infrastructures urbaines ne sont pas développées comme en France et manquent d’entretien, les fils électriques pendent ça et là entre les poteaux et font régulièrement l’objet de branchements dérivés. Les routes sont défoncées, les bus roulent à des vitesses inattendues et se dépassent sans forcément respecter les priorités. C’est très différent de chez nous où tout est plus organisé mais ça marche aussi ! Dès que l’on monte dans le bus, c’est la course pour avoir une place assise et ça se comprend car tenir debout lorsque le bus roule est une véritable séance de proprioception. J’ai été surprise de voir que les gens qui restent debout peuvent se délester de leur sac en le posant sur les genoux d’une personne inconnue mais assise. Cette pratique est courante et témoigne d’une certaine confiance en l’autre.
Capoeira
Passira, Gravata, Jaboatao dos Guararapes, Recife sont les villes où j’ai eu l’occasion de me rendre à des cours de capoeira et Capoeira Brasil, Legião, Força da Capoeira, Terra Nossa sont les groupes qui m’ont accueillie dans leur académie. À chaque fois j’ai été reçue avec beaucoup de curiosité dans le regard et plus directement avec des questions de la part des enfants. Pourquoi j’étais là ? Est-ce que j’avais des élèves ? Depuis combien de temps je faisais de la capoeira ? Et pourquoi j’avais les yeux bleus ? Bon sur les premières questions, je m’en suis sortie mais sur la génétique, j’ai manqué de vocabulaire en portugais. J’ai pu me rendre compte que notre niveau technique de capoeira était bon même très bon et que nos rodas ou nos cours étaient très bien organisés. J’ai pu aussi ressentir quelque chose qui m’avait déjà été dit par des Brésiliens et qu’Afonso nous répète, c’est la spontanéité de la réponse du chœur dans les chants de capoeira et autres. Oui, c’est exact que lorsque le berimbau commence à jouer les gens sont connectés et le chœur envoie la patate illico presto ! Ceci s’est vérifié dans les différentes académies. Je pense qu’il n’y a pas de mauvaise volonté de notre part c’est juste le fait que l’on ne baigne pas dans ce jus depuis notre tendre enfance. Je dois aussi vous raconter qu’à chaque fin de roda, il y avait une petite discussion, certes pour présenter Sonic comme on le fait chez nous, mais aussi pour que les gens échangent sur le cours. Quelle n’a pas été ma surprise lorsqu’à la fin de la première roda on m’a donné la parole ! Quand on vous propose de vous exprimer, il est difficile de refuser. J’ai donc fait mon premier discours en portugais ce jour-là, il fut très court, mais au fur et à mesure que les rodas se sont enchainées, j’ai pu enrichir mon propos. J’ai beaucoup aimé ces différents lieux de capoeira. Même si l’accueil était toujours très sympathique, je suis restée prudente car lors d’une roda de rue, les jeux étaient très rapides et les coups s’enchainaient, je n’étais absolument pas sûre que les capoeiristes s’adapteraient à ma vélocité et que mes esquives seraient suffisantes pour assurer ma survie. Pour illustrer ce point, lors d’une roda à Gravata dans l’académie du groupe Legião, j’ai pris un benção dans le ventre alors que j’étais dans le cercle de la roda et que je m’occupais à me replacer en fonction des allers et venues des capoeiristes peu disciplinés ce jour là. Ce coup, je ne l’avais pas calculé, il était « gratuit » ou « cadeau de bienvenu », je n’en sais rien mais il était bien volontaire. Un peu vexée, je dois l’avouer, j’ai voulu rentrer dans la roda mais une petite voix intérieure m’a dit que j’allais regretter. Avec le recul, je sais que j’ai bien fait de ne pas répondre à cette provocation.
De ce voyage au brésil ce n’est pas le niveau technique de ma capoeira que j’ai amélioré mais une certaine forme de perception de la capoeira. Je me suis enrichie de nouvelles sensations, de stimulations et de son environnement qui est différent là-bas. Chaque fois que j’aurai l’occasion de retourner au Brésil, je visiterai des académies ou participerai à des festivals pour alimenter ce pan de ma connaissance.
Candomblé et Jurema
Lorsque j’étais au collège on avait eu l’opportunité d’étudier l’histoire d’Orphée et d’Eurydice la plus célèbre histoire d’amour de la mythologie grecque. Mais au lieu de nous donner à étudier un opéra ou une pièce de théâtre, on nous a projeté le film de Marcel Camus « Orfeu Negro » qui transpose ce mythe grec dans les favelas du Rio de Janeiro des années 50. La musique et les images de ce film ne m’ont jamais quitté mais ce qui est resté le plus prégnant est l’entrée d’Orphée dans un « terreiro de Candomblé » (lieu de culte du candomblé) où il cherchait à retrouver son Eurydice décédée, au travers d’une connexion avec les Orixás (énergie de la nature). Dans ce terreiro, les percussions battaient leur plein et une femme entrait en transe. Je me rappelle être restée interrogative sur ces pratiques de communication très étranges.
Le monde de la capoeira et la culture afro-brésilienne qu’elle véhicule a, quelques années plus tard, ravivé ce souvenir et donner l’envie de visiter un jour, un terreiro. Cependant, j’étais loin de m’imaginer que j’y entrerai par la petite porte, que durant une semaine j’assisterai à la préparation de l’obligation « Yaô/confirmation de statut» qui est comme un « passage de grade » dans le cheminement des Ogans, et j’étais loin de m’imaginer qu’Exù me serrerait dans ses bras et que je participerai à des Jurema.
Même si aujourd’hui, je comprends un peu mieux ce que signifie Pai ou Mãe do Santos (pères et mères de saint), Ogan, Ekède, Ogum, Iemanja, Exù, Pombo Gira, Jurema, et bien d’autres choses, je suis loin d’entrevoir le bout du chemin. Malgré cela et avec beaucoup d’humilité, j’aimerai vous faire partager quelques séquences de cette expérience.
Candomblé
Le Candomblé est le culte de divinités d’origine totémique, les Orixás (16). Les Orixás/Nkinses (Yoruba/Bantu) sont rattachés à des éléments de la nature et sont caractérisés par un ensemble de couleurs et d’objets qui les représentent. Ce sont des forces immatérielles présentes, et chaque être humain est choisi par un Orixá à la naissance, qui sera plus tard identifié lors d’une cérémonie par un prêtre (Pai do santos) lors du jeu des buzios (ensemble de coquillages qui selon leur agencement lors d’un jet, délivrent des messages). Le Candomblé est divisé en « nations » dont les plus connues sont Nagô, Jeje (Yorouba), Angola (Bantu), Ketu etc…
La maison du Candomblé où je me suis rendue fait partie de la nation Angola où le Bantu est la langue traditionnelle. Ainsi on ne dit pas « Terreiro » (Yorouba) mais « Inzo » (Bantu), ce qui signifie casa ou maison.
Les cérémonies débutent par des chants d’introduction qui sont toujours dédiés en premier à Mavambo (Bantu) ou Exù (Yoruba) (Photo n°1). Mavambo/Exù est un Orixa un peu particulier car il a eu une vie sur terre et il est l’Orixa de la communication. Ainsi ouvrir une cérémonie en le faisant venir est une assurance au bon déroulement des festivités. C’est le jeu des percussions qui débute avec le gonguê (cloche plate sur laquelle on frappe) puis l’entrée des atabaques joués par les Ogans qui appellent les Orixás. Le pouvoir des Ogans est fort dans le culte Candomblé. Lorsque le Pai do Santos reçoit Mavambo/Exù, c’est-à-dire qu’il entre en transe avec l’Orixa Mavambo/Exù, l’ensemble des fils et filles de saint qui sont en lien avec cet Orixa entrent aussi en transe. Alors les Ekèdes assurent chaque personne en transe en empêchant qu’elle se fasse mal, en épongeant leur front lorsque les danses se succèdent, en guidant leurs pas grâce au son de l’Adjas (cloche à 3 têtes). Les Ekèdes jouent aussi du gongué ou des agbés (calebasse couverte de perles) et peuvent mener les chants. Les Ogans et les Ekèdes ne peuvent pas recevoir d’Orixa, ils sont des corps fermés (corpo fechado) et ils sont comme des « élèves gradés » de la maison dans laquelle ils se trouvent. Les Ogans sont des hommes alors que les Ekèdes sont des femmes.
Danse de Mavambo/Exù- Inzo Nkose Mavambo (Casa de Ogum Xoroquê)
En plus de Mavambo/Exù qui est venu à toutes les cérémonies auxquelles j’ai assisté, j’ai pu voir des transes avec les Orixas Iansã/Bamburucema (Orixá du vent), Nsumbu/Omulu (Orixá de la Santé et Maladie) et Zumbarandá/Nanã (Orixá de la Boue et la Terre). Chaque Orixa est appelé par des chants spécifiques, les danses lui sont propres ainsi que les messages délivrés. Ces cérémonies durent jusqu’à plus de 4h sans interruption et se terminent par un repas offert aux participants. Durant ces cérémonies, j’ai été captivée par l’organisation, les costumes magnifiques, les chants, les danses, les transes mais le plus « transportant » est le rythme des atabaques, leurs jeux sont très beaux et puissants. Comme vous pouvez l’imaginer cela ne se passe pas à l’intérieur d’une salle parfaitement insonorisée ! Mais bien dans des endroits où le son s’échappe librement et inonde les rues voisines tard dans la nuit.
Nsumbu/Omulu (Orixá de la Santé et Maladie) - Inzo Nkose Mavambo (Casa de Ogum Xoroquê)
Danse de Zumbarandá/Nanã (Orixá de la Boues et la terre) - Inzo Nkose Mavambo (Casa de Ogum Xoroquê)
Cérémonie de la Jurema
La Jurema, d’origine indigène, est un des nombreux cultes pratiqués au brésil et principalement dans la région Nordeste. La Jurema est aussi un arbuste de la famille des acacias. Ces écorces sont utilisées dans la préparation du « vin de Jurema » qui contient aussi des clous de girofle, de la cannelle, du miel, du gingembre, des alcools comme du vin ou du whisky ou de la cachaça et de nombreux mystères. Cette boisson est consommée durant les cérémonies de la Jurema uniquement, et elle aiderait à la communication avec les entités. Les entités sont des esprits qui ont eu une existence terrestre et ont acquis des connaissances sur les herbes médicinales. En raison d’un passage antérieur sur terre plutôt sombre, le retour de ces entités parmi les vivants lors des cérémonies de Jurema leur permettrait de se « racheter » en aillant des actions bienveillantes comme des guérissons, des conseils. J’ai pu goûter différents vin de Jurema dans différentes maisons sans pour autant en ressentir les effets psychoactifs ! Je ne vais pas pouvoir vous parler de ce culte avec précision, car c’est la première fois que j’en entendais parler et j’ai découvert son existence en me rendant à des cérémonies.
Je vais vous raconter la 3ème Jurema à laquelle je me suis rendue avec Sonic, et qui se déroulait à la Vila Sesi (Recife). Cette fête célébrait Galo Preto (Maitre de Jurema/entité esprit). Elle est très célèbre en raison du spectacle qui s’y produit. Nous étions arrivés en avance ce qui nous a permis d’avoir un peu de temps avec le « Pai do Santos » de la maison. Il m’a ouvert la porte de la chambre spirituelle, lieu hautement sacré et protégé. Dans cette chambre spirituelle, petite pièce blanche sans fenêtre, brulaient de nombreuses bougies, au sol des boissons et fruits exotiques de toutes les couleurs et sur les étagères les « Cidade ». Une « Cidade » est un ensemble de verre contenant de l’eau (symbole de la vie), un grand verre central représentant le Pai de la maison et sept verres autour représentant les 7 villes qui doivent être visitées pour devenir Mestre ou Mestra de Jurema. Il y a autant de « Cidade » dans la chambre spirituelle qu’il y a de Mestre et Mestra dans la maison. Dans ce cas, il y avait beaucoup de «Cidade » indiquant que cette maison avait déjà une longue histoire. C’est un peu comme un maitre de Capoeira qui aurait formé plusieurs contremaitres ou maitres qui seraient restés fidèles à la maison. Dans les cérémonies de Jurema tout comme dans le Candomblé, les percussions sont omniprésentes avec les ilù (tambour), agbés et agô. L’ouverture de la Jurema se fait toujours avec des chants et danses invoquant Mavambo/Exù, Pombo Gira, Malunginho puis ensuite peuvent venir, en fonction de la célébration, des chants pour Boiadeiro, Preto Vehlo…. Durant cette cérémonie qui célèbrait Galo Preto à la vila Sesi, c’est après 4-5 h de chants introductifs, de boissons et fumées incantatrices que les Mestres et Mestras sont apparus vêtus de perruques brillantes, de robes longues, volumineuses, et colorées (type renaissance). Ils ont dansé puis ils ont servi leur chant à Galo Preto (Mestre de Jurema de la Maison) en vue de le séduire. Les chants sont comme des joutes verbales entre les Mestre et Mestra, il y a énormément d’humour (que je n’ai pas compris) et de référence aux entités.
Lors de cette Jurema, le côté spectacle était beaucoup plus en avant que le côté « sacré » que j’ai pu voir dans d’autre Jurema. Bref tout cela s’est terminé comme toujours tard dans la nuit et par un repas offert à tous les participants et visiteurs.
Il est certain que du Candomblé ou des Jurema, je suis loin de comprendre l’ensemble des évènements mais je sais que chaque visite apportera son lot de découverte et stupéfaction. Si vous avez l’occasion de vivre une telle expérience en étant sûre de là où vous mettez les pieds, je vous le conseille, ça vaut le détour.
Chaque voyage au Brésil m’enrichit de connaissances et de rencontres mais j’en reviens toujours plus consciente du temps qu’il me faudrait pour me fondre dans cette société et jouir pleinement de sa culture. Quoiqu’il en soit chaque voyage sur cette terre aux odeurs de capoeira réveille le plaisir d’en savoir, plus, d’aller plus loin mais aussi de laisser les choses venir à soi et profiter de cette joie insouciante.
Sonic et Marie-Jeanne
Spéciale dédicace à Sonic sans qui la plupart de ces visites et rencontres n’auraient pas eu lieu. Je le remercie infiniment.