Par Morgane, Capoeiragem, Ecole Senzala Toulouse - Mars 2019
J’ai eu la chance de pouvoir interviewer Isabelle Faïfe notre professeure de danses afro-brésiliennes au sein de l’association Capoeiragem. Elle enseigne le forró tous les vendredis de 19h à 20h. J’ai pu découvrir que son parcours est beaucoup plus riche que cette seule danse.
Bonne lecture à tous !
1) Quel est le parcours qui t’a amené à la danse ?
Enfant je pratiquais le karaté de façon importante dans un club de la banlieue de Toulouse de 10 ans à 20 ans. Je prenais beaucoup de plaisirs à pratiquer les arts martiaux et notamment les Katas (chorégraphies regroupant coups et esquives, sorte de combat aérien). Il y avait un côté très esthétique, comme de la danse qui me plaisait beaucoup. À l’époque, je pensais même devenir professeure de karaté.
Durant un été, je me fais une entorse à la cheville en jouant au football avec des copains. Me voilà en béquilles. La fête du village arrive avec la frustration pour moi de ne pouvoir en profiter. Cette année-là c’est un groupe de musiques d’Afrique de l’ouest avec ses djembés (percussion traditionnelle Mandingue) qui joue, et là je sens pour la première fois mon cœur battre, je sens l’appel du tambour comme une illumination ! J’ai envie de danser. Suite à cette rencontre je récupère rapidement de mon entorse et fais ma rééducation avec de la danse africaine. Pour la première fois je me sens à ma place !
Je commence à prendre des cours de danse africaine et je m’imprègne de cette culture. C’est à la Mounède (salle de concert au Mirail) que tout cela démarre.
Je rencontre à cette occasion Mamadou Koïta danseur, fils de Griot (conteur, gardien de la culture orale d’Afrique de l’ouest) et héritier de la culture du Gumbé (style musical très rythmé). Je m’éclate dans ses cours et me passionne pour la culture Mandingue (culture d’Afrique de l’ouest : Mali, Côte d’Ivoire).
Mamadou Koïta
Au bout d’un mois de cours, il me propose de rejoindre sa troupe de musiques et danses traditionnelles Mandingue : SICO (rêve en Bambara). Formée par lui pendant un an, nous faisons beaucoup de spectacles et de prestations dans le grand Sud. Comme une famille.
Isabelle dans la troupe SICO
En parallèle, je continue ma formation en danse africaine avec Marie-Claude Zordan danseuse et professeure de danse afro-moderne. Un travail très féminin avec de l’ancrage. J’ai un coup de cœur pour son travail et je finis même par la remplacer durant ses congés maternités. Je n’ai que 20 ans !
Marie-Claude Zordan
Cécile Raynal, ma première professeure de danse africaine, Madou, qui m’a mis le pied à l’étrier et Marie-Claude ont tous vu l’étincelle qui était en moi et qui m’a amené jusque-là !
2) Comment as-tu découvert la culture brésilienne ?
La culture brésilienne était présente dès mon enfance par quelques signes. À l’école primaire, j’avais une copine qui s’appelait Yemanja.
Je jouais à la marelle sur une chanson brésilienne de Nazaré Pereira (https://youtu.be/eNO8tpPTiI4), ma maman qui me chantait sans le savoir une ciranda (https://youtu.be/zayf68qX294)
Alors que je dansais dans la troupe de Madou, j’ai rencontré beaucoup de musiciens qui me disaient que j’avais la délicatesse, l’énergie et le physique d’une brésilienne. Charmée par le Brésil je suis partie du jour au lendemain vers cette culture et ces nouvelles danses. J’ai été formée sur le tas par des danseuses brésiliennes qui m’ont apporté leur culture et leur joie de vivre. Danser la samba, faire des costumes, savoir écouter les musiques brésiliennes.
Pendant 20 ans j’étais sur les routes de France avec la troupe « Piment Chaud », « Sambananas » entre autres. J’adorais mon métier, apporter aux gens la joie et la chaleur du Brésil.
J’ai continué à apprendre aux travers de mes voyages :
- En 2005 je suis partie à Sao Paulo au Brésil à la rencontre d’une reine de carnaval de l’école de samba « Vaï Vaï ». J’ai beaucoup appris sur le carnaval, sur ce que c’était d’être une danseuse et une reine. J’ai aussi pris des cours particuliers de samba, d’afoxé et de danse afro (la base de ma danse, l’ancrage qui est dans mes gènes).
- En 2009, retour au Brésil mais cette fois-ci à Rio de Janeiro pour intégrer l’école « Reboco das Artes » dirigée par Marinho Braz et je suis une formation en danses populaires et traditionnelles brésiliennes : samba no pé et ses variations, samba de gafieira, maracatu, frévo, afoxé, dança afro, jongo et forró.
C’était la période du carnaval, j’ai dansé jour et nuit non-stop pendant un mois.
Isabelle dansant la samba de gafiera
3) Comment es-tu devenue professeure de forró ?
C’est lors de ce voyage à Rio en 2009 que je découvre le forró avec Marinho Braz. Au début je n’ai pas du tout aimé cette danse qui était l’opposé de l’élégance et la prestance de la samba de gafieira.
Marinho Braz
Au Brésil quand on danse connecté avec le/la partenaire, on danse pour danser, pour le plaisir de la danse. En Europe cette connexion a malheureusement, aux yeux de certains messieurs, a une autre finalité. C’est pour cette raison que l’abord m’a parut grossier, opportuniste de la part de l’homme.
Mais Marinho m’a fait changer d’avis aux travers de sa formation et des bals forró auxquels j’ai pu assister. Il m’a fait découvrir une autre image du forró et de la connexion des corps qui amène autre chose. Un lâcher prise et une interaction agréable.
Le forró est une danse populaire et ancienne du Nordeste, qui peu à peu s’est démodée et s’est laissée bouder par la jeunesse brésilienne.
Marinho, maître de forró, 5 fois champion du monde du marathon du forró, directeur de la foire nordestine de Rio « Sao Cristovao » a modernisé cette danse en y intégrant des passes et des tours rendant la danse plus rythmée, plus aérienne. C’est au travers des universités qu’il a réintégré cette danse et lui a redonné ses lettres de noblesses, raison pour laquelle la version moderne du forró s’appelle « forró universitario ». Depuis 2012 cette danse est rentrée à part entière comme danse de salon au Brésil.
J’ai été à bonne école pour apprendre le forró, Marinho voulait promouvoir la culture brésilienne en Europe pour que cette danse ne se perde pas.
En 2010, j’ai commencé à donner des cours de forró grâce à Afonso qui m’a proposé d’intégrer des cours de danse brésilienne au sein de l’association Capoeiragem. Un public jeune et dynamique qui avait déjà un pied dans cette culture-là.
Cela a bien fonctionné, et j’ai continué au sein groupe de capoeira ainsi qu’à la Salsathèque (2011-2012) où je donnais aussi des cours de samba de gafieira. J’ai eu beaucoup de jeunes et beaucoup de Brésiliens venus découvrir leur propre culture.
Les bals forró ont suivi avec une nouvelle énergie brésilienne sur Toulouse grâce à Rita Macédo (chanteuse et joueuse d’accordéon) notre brasilousaine préférée.
En 2011 j’ai convié Marinho Braz à Toulouse pour un grand stage de samba no pé, samba de gafieira et forró, l’occasion pour moi de parfaire ma pédagogie. À cette occasion, il m’a offert sa précieuse apostille du forró : livret répertoriant toutes les passes de forró et tous les styles de forró.
En 2012, grâce à Marinho Braz et Marion Lima, nous organisons le « Forromob international » une flash mob dansée de Rio à Moscou en passant par l’Europe et Toulouse. Le forró devenait mondial.
Cette année-là nous avons fait la première partie de Bonga (artiste Angolais) dans le cadre de la valise du Rio Loco. On avait réussi à faire briller le forró, la graine était en train de germer.
2012, année aussi de voyage à Rio pour continuer et parfaire ma formation de samba de gafieira et de forró. J’ai fait des formations dans plusieurs écoles.
Là-bas danser c’est respirer.
2013, grande année aussi : je suis devenue maman d’un garçon qui s’appelle Gaspard. J’ai continué à danser jusqu’au bout : forró, samba, danse africaine. J’avais une énergie incroyable.
Suite à la naissance de mon fils, j’ai ralenti mon activité pour me consacrer plus à ma vie de maman.
Le forró a bien continué depuis à évoluer grâce aussi à Carlos Valverde brésilien arrivé à Toulouse avec un visa talent et qui a créé le lien entre la culture nordestine et la culture occitane car l’on y retrouve beaucoup de similitudes dans les chorégraphies, les rythmes, les rondes.
Il a réuni ces deux régions de tradition forte et a fini d’ancrer la culture du Nordeste à Toulouse.
Il est professeur au COMDT (Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles) et a apporté une dimension musicale avec les ateliers du GEDAM (Groupe d’Étude de Danse et Musique Brésilienne).
Aujourd’hui il y a un bal forró par semaine dans beaucoup de lieux différents (La Candela, Maison blanche, El Circo, le Hangar…).
Sur facebook le groupe Forró Toulouse regroupe tous les événements forró en France et en Europe.
L’association « Simbora » travaille elle aussi à la promotion du forró dans la culture occitane.
Toutes les grandes capitales européennes ont leur festival de forró, à Toulouse, nous avons le printemps du forró, organisé par Carlos Valverde.
Le forró a évolué très vite et on revient sur quelque chose de plus traditionnel. Cette danse a beaucoup de ramifications donc chacun peut s’y retrouver.
4) Quel message voudrais-tu faire passer pour terminer ?
J’enseigne surtout le forró universitaire. Quand j’enseigne des passes aux danseurs, il y a une émulation intellectuelle puis elle s’intègre dans le corps de la personne. Il ne faut jamais oublier qu’on a été un jour débutant, qu’on n’a jamais fini d’apprendre. Il y a cette possibilité d’aider les autres et apporter sa connaissance pour transmettre.
Je suis comme une maman bienveillante qui surveille et regarde ses enfants grandir.
Je remercie Isa d’avoir partagé son vécu et sa passion pour la culture brésilienne et la danse. C’est une femme qui a grande humilité pour son travail de professeure.